INTERVIEW – Le président de la Fédération française des télécoms

Posté le : 29 octobre 2012 par Fabrice Godeau Aucun commentaire

INTERVIEW - Le président de la Fédération française des télécoms affirme que les opérateurs ne peuvent à la fois baisser les prix, investir dans les réseaux et supporter 25% de taxes sectorielles.

Alors que les opérateurs sortent d'une année choc, Pierre Louette, président de la ­Fédération française des télécoms et directeur général adjoint de FranceTelecom, dresse les enjeux du secteur.

LE FIGARO. - Comment les opérateurs sortent-ils de cet «annus horribilis»?

Pierre LOUETTE. - Nous avons la chance d'être dans une industrie dont l'usage est en plein essor, même si les temps sont difficiles. C'est une opportunité dont nous devons profiter pour inventer le modèle économique des opérateurs de demain. Le trafic de données a augmenté en un an de 100% dans le monde et de 69% en France, l'engouement pour les smartphones ne se dément pas, les ventes de tablettes ont déjà dépassé les ventes de PC de bureau… Des innovations majeures comme le cloud ou les objets connectés se profilent, avec à la clé une demande de débits encore renforcée. Les télécoms ne sont ni la sidérurgie ni l'automobile. S'ils doivent faire des économies, les Français préfèrent réduire les loisirs, l'habillement ou même l'alimentation, mais pas les télécoms, qui ne représentent que 3% de leur budget et sont devenues essentielles. L'enjeu est de transformer cette explosion des usages en levier de croissance de nos revenus.

Comment rebondir?

Il faut d'abord arrêter cette spirale déflationniste. Un forfait télécoms mensuel, avec tous les services que cela implique, coûte désormais le même prix qu'une journée de parking à Paris. L'accès au sous-sol parisien vaudrait donc autant que l'accès à un monde de savoirs, de distractions et d'échanges! Ce n'est pas possible. Une concurrence sans aucun frein devient vite préjudiciable aux consommateurs car elle se fait au détriment de l'investissement et de l'emploi. Aux États-Unis, où la concurrence a été un temps frénétique, les réseaux sont exécrables. En France, ils sont excellents car les opérateurs ont beaucoup investi. Les Français y sont tellement habitués qu'ils ne s'en rendent plus compte. Les consommateurs seront prêts à payer un peu plus pour bénéficier d'un débit plus rapide et d'un service de meilleure qualité.

Allez-vous utiliser la 4G et la fibre pour faire remonter les prix?

Je ne serais pas choqué par l'idée que la 4G soit vendue plus cher. Un modèle économique dans lequel chaque innovation s'accompagne d'une nouvelle baisse des prix est insoutenable. La 4G doit permettre de monétiser une vitesse d'accès à Internet jusqu'à dix fois plus rapide que la génération précédente. Le secteur peut retrouver une segmentation de l'offre, avec des tarifs plus élevés pour les offres plus rapides. Il est important de mettre des bornes à l'univers de la gratuité perçue: nos investissements et nos innovations ont une vraie valeur qu'il faut savoir maintenant monétiser. À côté du consommateur final, nous souhaitons aussi mettre à contribution les géants américains des contenus, qui gagnent beaucoup d'argent en utilisant massivement nos «tuyaux» sans contribuer à leur financement. La récente décision de l'Autorité de la concurrence dans le dossier Cogent est très encourageante. Elle signifie que tout opérateur télécoms est en droit de se faire payer pour une utilisation déséquilibrée de son réseau.

Comment faire payer les géants du Net tels Google, You Tube, Apple?

Il est anormal que ces entreprises ne soient pas fiscalisées ni régulées dans les pays où elles opèrent. Aujourd'hui, elles ne paient presque rien en Europe et les États membres perdent des milliards de recettes fiscales. Bruxelles doit s'emparer de ce sujet, qui est absolument central, sinon l'Europe restera recroquevillée sur les vieilles industries et laissera passer la révolution numérique sans en profiter. C'est tout l'enjeu de la reterritorialisation fiscale, qui doit profiter autant à l'État qu'aux opérateurs et aux consommateurs. Stéphane Richard, qui a créé le «club des 5» grands opérateurs européens et va à Bruxelles très régulièrement, a beaucoup œuvré pour cette prise de conscience collective. Aujourd'hui, la commissaire Neelie Kroes entend nos arguments et comprend qu'on ne peut réguler strictement les seules télécoms. Porté par cette lame de fond, le système est en pleine mue.

En attendant, les opérateurs ont-ils les moyens d'investir?

Le gouvernement va devoir faire des choix clairs. Il ne peut nous inciter tout à la fois à investir, à baisser les prix et nous imposer une fiscalité supérieure de 25% à celle des autres secteurs. Les opérateurs ont payé l'an dernier 1,2 milliard d'euros de redevances et taxes spécifiques: 235 millions d'euros pour financer France Télévisions, 150 millions d'euros pour financer le cinéma… Nous achetons une première fois les contenus aux ayants droit et nous devons payer une seconde fois pour les diffuser. Les opérateurs sont d'accord pour contribuer au financement de la culture, mais il faut raison garder: le numérique et la culture ont besoin d'opérateurs forts. En période de rigueur et de baisse des revenus des opérateurs, le gouvernement doit appeler à la mesure le monde de la culture, dont les appétits sont potentiellement infinis… sinon la vache à lait des télécoms risque de devenir enragée.

L'adaptation en cours de la taxe sur les services de télévision va-t-elle dans le bon sens?

Il est indispensable que cette taxe soit liée aux usages. Sur le mobile, l'usage de la télévision représente seulement 1 % de ce qu'il est sur les box. La taxation des offres mobiles doit donc être nettement inférieure à celle des offres fixes, au moins dans un facteur de 1 à 10. De plus, tous les distributeurs doivent être concernés, y compris les distributeurs de services de télévision connectée. Nous avons eu récemment des discussions très constructives avec Fleur Pellerin, Arnaud Montebourg et Aurélie Filippetti. Nous ne doutons pas de parvenir à un texte équilibré.

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